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🇫🇷 L’embuscade de Bedo

Récit de Jean Claude Victoire

(en italique orange dans le texte)

Texte de Michel Barjolin

 L’embuscade de Bedo, j’y étais…

         C’est ainsi que commence le récit de Jean-Claude Victoire. Le caporal-chef Victoire reste en effet un témoin emblématique de cette embuscade qui fut, pour les parachutistes français de la CPIMa, l’embuscade la plus destructrice depuis la guerre d’Algérie.

 Avant de suivre Jean-Claude Victoire dans son récit, un petit retour en arrière s’impose pour mieux comprendre comment nous en sommes arrivés là.

         Le Tchad devient protectorat français à partir de 1900, et colonie française en 1920. Pays d’Afrique centrale frontalier de six pays, dont le Soudan et la Libye, le Tchad prend son indépendance en 1960 comme la plupart des territoires coloniaux français d’Afrique Noire. Lors de la décolonisation, ceux qui prennent le pouvoir au Tchad appartiennent dans leur majorité aux ethnies du Sud du pays. Chrétiens en grande majorité comme le président Tombalbaye, les hommes du Sud sont, pour la plupart, recrutés pour composer l’administration tchadienne. Ils sont aidés et soutenus par la France.

         Au Nord, les tribus musulmanes aidées par le Soudan et la Lybie créent des mouvements de rebellions dont l’action politique est menée par des groupes rompus aux actions violentes. La frontière entre le Tchad et la Libye date de 1919. Elle a été définie entre les Français et les Italiens. Depuis l’origine, cette frontière est un enjeu territorial central entre la Libye, le Tchad et le Soudan. Appelée « Bande d’Aouzou », cette zone appartenait initialement au Tchad français, mais elle a été cédée par Pierre Laval à Mussolini en 1934. Cette bande désertique est à l’origine des conflits qui perdurent au nord du pays. Le Tchad est le « pays des guerres sans fin »… Dans la région saharienne du Nord, le BET (Borkou-Ennedi-Tibesti), les Toubous se livrent depuis toujours à des actes de banditisme d’une grande violence.  Ces actions rebelles sont fortement réprimées par le gouvernement tchadien de Tombalbaye. Pour répondre à cette répression, les révoltés du Nord créent en 1966 le FROLINAT (Front de Libération Nationale) dont le siège se trouve, il n’y a pas de hasard, à Alger.  Cette petite armée compte 1500 hommes, déterminés et bien entraînés, qui s’opposent aux forces armées du Tchad constituées de 1850 soldats, 1200 gendarmes et 2500 gardes nomades incapables, par manque d’entraînement, de maîtriser les nombreuses révoltes. Pour cette raison, le gouvernement tchadien signe des accords de défense avec la France dès 1960.

Ces accords prévoient une Assistance Militaire Technique (AMT). Le 18 mars 1969, le général De Gaulle prend la décision d’envoyer des troupes françaises au Tchad. Cette aide est conditionnée par la mise en place de réformes administratives, économiques et sociales.

 Des unités opérationnelles sont déployées sur le terrain pour rétablir la sécurité dans les régions du Nord. L’intervention française au Tchad, baptisée « Opération Limousin », est la première opération militaire mise en œuvre depuis le conflit algérien. Une Armée de l’Air Nationale Tchadienne est créée qui opère à partir des bases de Fort-Lamy, Mongo et Abéché. En août 1968, le président Tombalbaye demande à la France un soutien armé. Le 3e RPIMa est mis en alerte Guépard et quitte Carcassonne pour rejoindre le 6e RIAOM à Faya-Largeau dans le BET. La 3e compagnie du 3e RPIMa composée d’appelés du contingent, commandée par le capitaine De Bethencourt, parvient à dégager la ville de Bardaï au Nord. Cette compagnie sera mise en alerte Guépard 2ans plus tard pour les mêmes raisons.

 Au cours du deuxième semestre 69, les légionnaires du 2e REP font face à une première embuscade au centre du pays. Le délégué militaire, le général Michel Arnaud est alors remplacé par le général Cortadellas qui crée un état-major Franco-tchadien à Fort-Lamy. En 1970, un commando de 30 hommes du 8e RPIMa vient renforcer la CPIMa mais, à la fin de 1970, si le calme règne dans les régions du Centre et de l’Est, dans le BET, la rébellion se renforce aidée en cela par la Libye après la prise de pouvoir du colonel Kadhafi en 1969.

Le décor est planté, les conditions de la tragique embuscade de Bedo sont réunies…

         À l’automne 1970, la situation au Nord est tendue. Les bandes du BET contrôlent d’importants massifs montagneux (l’Emi-Koussi culmine à 3400 m) et menacent les postes de l’Armée Nationale Tchadienne. La 6e CPIMa est engagée du 1er au 26 septembre dans le périmètre Faya-Largeau, Zour-Mourso, Bardaï, Fada et Ounianga. Au cours des mois précédents, des combats importants avaient engagé la CPIMa qui avait perdu le Médecin-commandant Garcia et le Lieutenant Chaussin.

 Pour soulager les postes du BET régulièrement harcelés, le Général Cortadellas décide de profiter de la récolte des dattes pour intercepter les bandes rebelles descendues de leurs cailloux. Le 1er octobre, le 2e commando de la CPIMa commandé par le Lieutenant Beaufils quitte Fort-Lamy par voie routière pour rejoindre Faya-Largeau. Le 6 octobre, le 1er et le 4eme commando, commandés respectivement par le Lieutenant Neau et le Lieutenant Raffenne, sont aérotransportés sur Faya-Largeau. Ainsi constituée, la CPIMa commandée par le Capitaine Canal se prépare à son déplacement dans le Nord. La section de commandement et d’appui commandée par l’Adjudant Jadoule se compose d’un élément santé (Médecin-capitaine Martini), d’une pièce de 57-SR prêtée par l’armée tchadienne et d’un groupe de mortiers de 81 mm commandé par l’Adjudant Chan.

Les hommes de la CPIMa sont tous des professionnels rompus aux difficultés du terrain et nombre d’entre eux ont déjà participé à des accrochages avec les rebelles. Outre le 57-SR et le groupe de mortiers de 81 mm, les parachutistes français sont équipés de FSA 49-56, de PM MAT-49, de mitrailleuses AA-52, de grenades à fusil et de quelques FRF1 qui sont alors l’exception dans l’armée française. Les moyens de transmission sont ceux de l’époque : C10 et C13, PP 8 et PP9. Pour cette mission, La CPIMa est motorisée sur Dodge 6×6.

Les bandes rebelles sont équipées d’un armement individuel hétéroclite mais performant : fusils Lee- Enfield-303 à balles expansives (datant de la première moitié du 20e siècle), carabines italiennes Statti  (utilisée par le FLN 10 ans plus tôt) et armes automatiques collectives (FM Brenn). Ces bandes maîtrisent le terrain en se déplaçant rapidement mais furtivement.

         Dans cette opération, les hommes de la CPIMa pensent trouver des petits groupes de rebelles, au maximum 20 à 30, et ont bien l’intention de les surprendre au gîte. En remontant vers le Nord, le convoi peine à se frayer un chemin au milieu des « flaques » de basalte noir qui ponctuent la zone. Les pistes, quand elles existent, sont à peine marquées. Le sable du désert occulte l’horizon, la température varie entre 40 et 50° à l’ombre. Dans les cuvettes subsistent quelques palmiers dattiers.                                                                                                Le 9 octobre, les trois commandos renforcés d’une section d’appui de l’EMT 3 reconnaissent la zone de Kirdimi-N’Gourma puis la palmeraie de Bedo, dans le Borkou, qui est fouillée le 10 octobre. À part une escarmouche de nuit, peu de contacts avec les rebelles.                                                                                    Le 11 octobre au matin, se déplaçant toujours vers le Nord, la CPIMa fouille la palmeraie de Tigui. Confronté aux problèmes logistiques dans cette zone désertique éprouvante pour les matériels et les hommes, le Capitaine Canal décide de regrouper sa compagnie à Bedo avant de reprendre la route en direction du Sud pour regagner Faya-Largeau, via Kirdimi distante de 50 km. La compagnie n’ayant pas trouvé de rebelles, l’ordre est donné de cesser les recherches.

L’embuscade

      Le dimanche 11 octobre, entre 14 et 15 heures, la CPIMa roule en convoi en direction de Kirdimi. En tête, le 1er commando du Lieutenant Neau, suivi du Capitaine Canal accompagné de sa section de commandement et d’appui, derrière lui, à 200 mètres, le 2eme commando du Lieutenant Beaufils. Plus loin, quelques kilomètres à l’arrière du convoi, progressent les véhicules du 4eme commando du Lieutenant Raffenne.

Caporal-chef J.C Victoire « …Comme j’étais chef d’équipe feu du troisième groupe du 4eme commando, je me trouvais dans le dernier camion qui fermait la marche du convoi. J’avais avec moi mon tireur FM, le chargeur et le pourvoyeur. Mon chef de groupe, le Sergent Serre, était dans la cabine à côté du chauffeur. Comme nous n’avions pas trouvé de rebelles en remontant vers le Nord, nous étions plutôt tranquilles en redescendant vers Kirdimi. Le soleil était bizarre à travers la poussière, je l’avais en pleine gueule, et nous avions très chaud. Bref, on n’était pas vraiment sur nos gardes… Brutalement, notre bahut pile ! Il doit être 16:00, 16:30, j’ai pas regardé ma montre. Le Sergent Serre gueule – Débarquez ! Je gicle de mon véhicule en sautant par la gauche. Mes  mecs ont déjà réagi. Je crois entendre au loin des coups de feu. Je regroupe mon équipe derrière les rochers à gauche de mon véhicule. J’ai pas le temps de réfléchir…».

         Vers 16:30, à environ 25 km au sud-ouest de Bedo, le Dodge de tête est brutalement pris à partie. Les tirs proviennent de tous les côtés de la piste, perçant la tôle des camions et occasionnant des pertes sévères au sein du commando Neau. La commandement du Capitaine Canal et le commando Beaufils sont pris eux aussi dans cette souricière imprévisible. Les rebelles sont postés de chaque côté de la piste, contre toute logique d’école, certains au plus près, camouflés derrière des rochers. Ils font feu à moins de 10 m, quasiment à bout portant. Le dispositif des rebelles s’étale sur plus d’un kilomètre avec l’intention de détruire tout le convoi en tirs fichants. L’embuscade a été déclenchée lorsque les dix premiers véhicules se sont retrouvés enfermé dans une cuvette. Par chance, le 4eme commando, à distance du convoi, n’est pas impacté.

Cela fera la différence.                                                                         

Par trois fois, les rebelles tentent de s’emparer du véhicule de tête mais sont repoussés à la grenade par le Lieutenant Neau. Quelques hommes, dont le Sergent Parisot, se dégagent du dispositif en gravissant une falaise sur leur droite. Déjà des tués et de nombreux blessés. Les balles expansives de 303 occasionnent de très graves blessures sur les hommes cloués au sol par les tirs des FM Brenn. Les chefs de groupes tentent de regrouper leurs hommes mais le Sergent-chef Voronine est tué d’une balle en plein cœur lors de sa tentative d’assaut. Le Lieutenant Neau est blessé ainsi que le Capitaine Canal. Malgré la situation confuse, le Lieutenant Raffenne prend très vite la mesure du problème à l’écoute des échanges radio. Il entraîne son commando, par la gauche, dans un long débordement.

Caporal-chef J.C Victoire : «… J’entends le Lieutenant Raffenne gueuler – en colonne, suivez-moi ! Je vois le premier groupe du Sergent Malbrank courir derrière la commandement du Lieutenant, suivi par le groupe de Gérard. Mon chef de groupe prend la tête et je le suis avec mon équipe feu, dernier élément du dispositif. On ne pense pas à la chaleur, on ne pense pas au danger, on se contente de suivre au plus près. Mon tireur FM souffle comme un bœuf, son AA 52 à la hanche. Au bout de 10 ou 15 minutes de cette course de dingue, le Lieutenant Raffenne tombe sur le cul des premiers rebelles.           Nous ne perdons pas de temps ; c’est en ligne, à l’assaut ! Mon groupe se trouve à droite du dispositif, je me trouve donc à l’extrême droite du commando. Nous tirons comme des malades sur les rebelles que nous voyons, sans prendre de précautions particulières. La riposte est immédiate et nous comptons déjà quelques blessés. Le Lieutenant Raffenne ordonne un repli sur 50 m et nous nous regroupons. Après quelques minutes de remise en condition, le Lieutenant commande un nouvel assaut qui bute une fois de plus sur les salopards bien camouflés. Mes gars sont pourtant gonflés à bloc. Le troisième assaut est gagnant car nous parvenons à dégager le commando Beaufils qui se repositionne sur la droite dans une zone moins exposée pour progresser jusqu’à la tête du convoi. Les appuis entrent en action ; 57-SR, mortiers de 81 et FLG à tirs tendus rétablissent l’équilibre à notre profit. Notre commando poursuit sa progression vers l’avant, de véhicules en véhicules. Finalement, le premier groupe du Sergent Malbrank parvient jusqu’aux aux véhicules du 1er commando. Nous progressons encore et, alors que j’ai dépassé le véhicule de queue du 1er commando, j’aperçois le chauffeur Joseph Hoarau planqué derrière les roues qui se fait tirer comme un lapin. Je poste ma pièce FM face aux rochers, en rafales continues pour m’appuyer, et je vais chercher Hoarau pour le ramener sur notre position. Nous nous mettons à l’abri et pendant 1h30 nous restons postés face à droite. Nous recevons l’ordre de mettre des panneaux air-sol sur nos musettes.

Le combat meurtrier dure deux heures. Le 4eme commando, malgré 4 blessés, parvient finalement à dégager le Lieutenant Neau blessé. Lorsqu’il aperçoit les paras du 4eme commando, le Lieutenant Neau s’écrit : « merci camarades ! ». Dès le début du combat, le Sergent-chef Trémauville  reste à son poste et tente d’appeler Largeau où stationnent, à moins d’une demi-heure de vol, une patrouille de chasseurs-bombardiers AD-4. Blessé, il est remplacé par le Sergent Poupeau qui essaie à son tour d’alerter par radio la station de Largeau qui diffuse en boucle des messages routine indiquant que ce n’est pas l’heure de la vacation.

 Vers 19 heure, l’heure est au premier bilan : 11 morts, et bientôt un douzième durant l’évacuation sanitaire, 25 blessés dont le Capitaine Canal et le Lieutenant Neau. Malgré le désordre ambiant, les paras restent professionnels et s’organisent dans l’éventualité d’une attaque nocturne des rebelles. Les mécanos travaillent toute la nuit à la remise en ordre des véhicules. Au cours de la nuit, le Sous-lieutenant Koszela aux commandes d’une Alouette II, accompagné du Capitaine Nefiolov, effectue trois EVASAN sans équipements pour le pilotage de nuit. Un Nord-2501 tourne toute la nuit au-dessus de la cuvette en larguant régulièrement des « lucioles ».

 Depuis Fort-Lamy sont aérotransportés sur Faya-Largeau, le 3eme commando, un peloton blindé du 6e RIAOM et l’antenne chirurgicale parachutiste numéro 2.

         Quand le jour se lève l’heure est au bilan définitif. Les 105 paras de la CPIMa, confrontés à 135 Toubous et Goranes, peuvent s’enorgueillir d’un beau bilan, malgré leurs pertes ; 60 rebelles ont été tués et de nombreux autres blessés. Une quinzaine d’armes des rebelles sont ramenés à Largeau ainsi qu’un drapeau du FROLINAT. Ce drapeau est exposé au musée des TAP à l’ETAP.

Quelques jours après, le 17 octobre, la CPIMa quitte Faya-Largeau à destination de Zouar pour participer à l’opération Picardie 2.

Caporal-chef J.C Victoire : « Ce sont des mauvais souvenirs, le plus mauvais moment de ma vie… Voir tous mes camarades morts avec leur toile de tente sur la tête… Honorons leur mémoire ! ».

En guise de conclusion

            Les guerres du Rif, la guerre d’Algérie, la guerre du Tchad et plus près de nous la guerre d’Afghanistan nous montrent l’habileté tactique et l’adaptation à leur terrain des combattants musulmans qui s’affranchissent des règles d’école qui nous sont enseignées. Religieux fanatiques, ils n’ont pas peur de mourir. Chez eux il n’y a pas de règles sinon celle de gagner. Admettons tout de même que la rusticité des moyens qu’ils mettent en œuvre et leur capacité d’agir du fort au faible de façon imprévisible devrait nous amener à revoir nos habitudes de penser les guerres asymétriques. Comparaison n’est pas raison mais, peut-être pouvons-nous remarquer quelques similitudes entre l’embuscade de Bedo et l’embuscade d’Uzbin ?

Michel Barjolin